De l’utilité équivalente du pessimisme et de l’optimisme en entreprise

Le pessimisme a-t-il forcément que des effets délétères ? Peut-il être, tout comme l’optimisme, associé à des effets positifs, en particulier dans le champ professionnel ?

Il n’y a jamais eu autant d’actualité sur ces questions d’optimisme et de pessimisme. En particulier dans les pays développés, nous n’aurions parait-il jamais été aussi pessimistes. Nous, les français, serions d’ailleurs les champions dans ce domaine. Comment expliquer ce paradoxe ?

Il est vrai que depuis la fin des 30 glorieuses, ces 3 décennies situées entre la fin de la guerre et les premiers chocs pétroliers, nous vivons un monde où plusieurs facteurs externes évoluent plutôt négativement : un tassement de l’économie avec en plus une finance qui semble devenue folle, l’environnement avec le réchauffement climatique, la raréfaction des ressources, et leurs conséquences, le terrorisme, le nationalisme et le protectionnisme qui gagnent du terrain.

A toutes ces raisons plus ou moins objectives, s’ajoute un facteur humain bien connu : le biais négatif. C’est cette tendance naturelle de l’être humain à repérer en premier lieu ce qui peut constituer un risque pour nous, et donc les choses négatives. Cette tendance qui avait un rôle fondamental de survie il y a des dizaines de milliers d’années a moins de sens aujourd’hui, et se traduit par une omniprésence des catastrophes et événements négatifs dans les médias.

Le contexte spécifique du monde professionnel

Le contexte en entreprise est à nuancer. Les progrès en management ont conduit les dirigeants et encadrants à se concentrer de plus en plus sur le positif, et à apprendre à plus le valoriser, par exemple lors des entretiens individuels annuels.

De plus, l’entrepreneuriat est une valeur montante, aussi bien au sein des organisations que dans les médias. Or une des valeurs qu’il véhicule est l’optimisme, ou plus exactement la capacité à trouver toujours du positif et des enrichissements dans tous les événements, toutes les surprises, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.

Ceci a conduit progressivement à une forme d’éloge de l’optimisme, qui tend ainsi à devenir une qualité objective qu’on ne pourrait discuter.

Une vision tronquée

Pour autant, l’optimisme ne doit pas être vu comme une pensée unique, seule vraiment porteur d’espoir et de progrès. L’excès d’optimisme constitue aussi un biais cognitif, qui peut conduire au mieux à sous-estimer les obstacles, au pire à l’inconscience voire aux comportements à risque.

Bien sûr à l’inverse, l’excès de pessimisme à ses effets : il conduit à l’immobilisme, au défaitisme, à l’abandon, à la diminution des attentes et des objectifs, et donc à une régression dans les résultats.

A cette analyse, Charles Martin-Krumm, professeur et expert international en Psychologie Positive, apporte un nouvel axe lié à la façon dont nous estimons que la chance comme facteur influant sur les événements : soit nous estimons que nous n’avons pas de contrôle sur ce qui nous arrive et nous considérons que seule la chance peut influer positivement sur ce qui nous arrive ; soit au contraire nous estimons que nous avons un contrôle sur les bonnes choses qui nous arrivent, et qu’attribuer ces bonnes choses à la chance est une perception erronée.

En croisant d’un côté cette notion optimisme versus pessimisme, et de l’autre cette perception chance versus contrôle, Charles Martin-Krumm distingue ainsi 4 typologies :

  • Facteur chance / optimisme : optimiste stratégique
  • Facteur chance / pessimisme : pessimiste normal
  • Facteur contrôle / optimisme : optimiste dispositionnel
  • Facteur contrôle / pessimisme : pessimiste défensif

L’optimiste stratégique comporte un biais : il ne veut pas entendre parler des obstacles potentiels sur sa route, et d’ailleurs ne s’y prépare jamais. En ce sens c’est une personne à risque.

L’optimiste dispositionnel aborde aussi les choses positivement, mais sans être dans un optimisme béat pensant que tout va s’arranger sans rien faire. Sans avoir la capacité naturelle du pessimiste défensif à imaginer les pires scénarios, il va surtout être capable de s’y adapter positivement.

A l’extrême opposé, le pessimiste normal imagine les pires scénarios, mais en plus, ne peut tirer parti de cet avantage d’une forme de lucidité, et se dire qu’il existe des façons de trouver du positif dans ces scénarios catastrophes.

Redonner sa valeur au pessimiste défensif en entreprise.

Enfin, dernier profil de ce schéma, le pessimiste défensif va certes avoir une attitude défaitiste comme tout pessimiste, mais essentiellement dans le but de se préparer à des obstacles potentiels, aussi bien au plan technique que psychologique. De ce point de vue, il présente à l’évidence des intérêts majeurs pour l’entreprise, qui est en permanence soumise à des environnements incertains et imprévisibles (cf concept VUCA développé par l’armée US).

Gaston Berger, l’inventeur de la prospective dans les années 50 disait : « l’avenir est moins à prédire qu’à inventer ». En ce sens, les pessimistes défensifs font souvent d’excellents prospectivistes, tant ils sont capables d’imagination quand il faut dresser la liste des obstacles potentiels, et les dirigeants devraient s’en servir comme tels.

On le voit donc en synthèse, tous les optimistes, comme tous les pessimistes, ne se valent pas. Il y a du bon et du mauvais dans chaque famille, et il faut se garder d’une vision manichéenne sur ce sujet.

Comment faire « vivre ensemble » optimistes et pessimistes ?

On oppose souvent les profils pessimistes et optimistes, comme s’ils ne pouvaient pas s’entendre ou travailler entre eux. C’est en partie vrai. En effet, lorsque les 2 types sont rassemblés pour travailler ensembles, les optimistes ont tendance à chercher à rassurer les pessimistes, mais sont vite énervés et indisposés par leur défaitisme et leur vision négative. A l’inverse, les pessimistes défensifs ont tendance à justifier de toutes les raisons qui pourraient conduire à l’échec, et sont vite agacés par les optimistes qu’ils perçoivent comme trop désinvoltes.

Mais on peut aussi et surtout tirer parti de ces complémentarités. Les optimistes dispositionnels sont en effet garants d’un état d’esprit orienté solution, d’une certaine persévérance face à l’adversité, et d’une capacité d’imagination face aux problèmes. Et les pessimistes défensifs quant à eux sont utiles pour imaginer les obstacles potentiels, pour les lister de façon exhaustive et en avoir une vision la plus complète qui soit.

Comme souvent dans ces cas-là, une des solutions pour faire vivre des opposés ensembles, consiste simplement à leur faire découvrir l’existence d’un autre mode de fonctionnement que le leur, de leur faire prendre conscience des oppositions entre ces modes de fonctionnement, et ainsi de leur faire accepter que tout le monde n’est pas comme eux.

Cette acceptation constitue le premier pas vers la compréhension, puis vers la collaboration.

Mais plus encore, au lieu de stigmatiser chacun dans ses caractéristiques propres, il est essentiel que chacun soit conforté dans son style – plutôt optimiste ou pessimiste – et dans ses comportements, tout en sachant comment le tempérer en situation collective et collaborative. Les dirigeants et managers ont un rôle clé à jouer, dans leur capacité à gérer cette diversité et complexité, de savoir en tirer profit sans qu’elle ne nuise au bon équilibre de chacun et du collectif. Ils peuvent par exemple les encourager à rester eux-mêmes et l’être pleinement, qu’ils soient optimistes, ou pessimistes.

Finalement, ce qui devrait être plus à juger, c’est cette perception du rôle de la chance – ou pas – dans les bonnes choses qui nous arrivent, qu’évoque Charles Martin-Krumm. Il s’agit véritablement d’un apprentissage de la résilience, dont on connaît les vertus face aux traumatismes, mais qui est tout autant utile dans les difficultés et obstacles au quotidien. La bonne nouvelle, c’est que la résilience est une compétence qui s’apprend.

Cyril Barbé

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