Le 6 décembre dernier, je vous partageais mes réflexions au sujet des talents et experts indispensables pour réussir des projets complexes et ambitieux. Je vous y écrivais notamment que les meilleurs spécialistes de complexité incarnent des combinaisons de polarités contraires, et qu’ils sont en général très discrets sur leurs spécificités, d’où la difficulté pour les identifier.
Dans la continuité de ce précédent article, je voudrais aujourd’hui vous citer deux exemples marquants d’entrepreneurs ayant fait le choix de recruter des profils atypiques, que ce soit pour leurs entreprises ou leurs écoles, qui ont constitué la clé de la réussite de leurs projets ambitieux.
Le nouvel « eldorado » des profils atypiques
On ne compte plus les articles qui font l’éloge des profils atypiques, comme un nouvel eldorado du recrutement, en particulier pour faire face à la nature de plus en plus complexe des enjeux auxquels nous devons faire face. En effet, les systèmes habituels de recrutement, essentiellement basés sur des CV et diplômes académiques, ne sont plus adaptés au rythme d’évolution des transformations de notre monde.
Qu’est-ce qu’un profil atypique ? C’est un candidat ou une candidate en dehors des normes, avec une grande disparité d’expériences et de connaissances, pas toutes en cohérences entre elles, ni cohérentes avec son parcours de formation initial. C’est une personne que des recruteurs vont assez facilement écarter de la pile, tant elle dénote par rapport aux attentes du poste. Et pourtant, c’est une personne qui, par la diversité de ses compétences et expériences, peut avoir un impact bien plus important qu’un profil conventionnel dans l’atteinte des objectifs de son employeur.
Une DRH atypique pour réussir une étape clé de développement
Dominic Gagnon, est un entrepreneur canadien atypique : souffrant très jeune de TDA/H, il déborde sans cesse d’énergie et de créativité, et dès l’âge de 14 ans, il fonde ses deux premières entreprises, une dans la création de sites web, et une maison de disque. Puis, alors étudiant à l’Université, il crée Piranha, qui deviendra l’une des plus grandes agences de marketing mobile au Canada.
Dans sa dernière entreprise spécialisée dans les objets connectés sur base de technologie RFID, Connect&Go, qui vivait une phase de croissance importante, impliquant des changements culturels importants, Dominic devait recruter un DRH, une embauche cruciale pour remettre l’humain au cœur de l’entreprise. Malgré son propre profil atypique, et sa conscience de la pertinence de s’y ouvrir, il reconnaît avoir écarté 2 candidats atypiques.
L’une d’entre elle, Sophie, avait une maitrise en psychologie sportive, et une participation à 2 éditions des Jeux Olympiques, où elle avait la responsabilité du bien-être et de la performance des équipes. Heureusement, les adjoints de Dominic l’ont convaincu de la rencontrer. Bien lui en a pris puisqu’il l’a embauchée, et avec sa vision différente, elle a contribué à structurer son organisation pour réussir cette étape clé de son développement. Elle a su notamment transposer au développement informatique les tactiques gagnantes du sport de haut niveau.
Un associé atypique pour lancer une nouvelle start’up
Plus encore, lorsque Dominic a dû trouver un associé pour sa dernière start’up Connect&Go, il a recruté Anthony Palermo, un autre profil atypique. Ce dernier a lancé sa 1ère entreprise à l’âge de 16 ans, dans le domaine de l’entretien ménager. Déjà au collège, il maniait la serpillière pour mieux comprendre le marché sur lequel il créait sa jeune entreprise. Mais il s’est aussi fait remarquer comme écrivain de pièce de théâtre, et a fondé une des plus importantes troupes au Québec.
C’est d’ailleurs sans doute son incroyable capacité à raconter des histoires qui leur a permis de convaincre leurs premiers clients.
Ce que Dominic a retenu des atouts des profils atypiques ?
Bien sûr, ils apportent une vision différente, éclairent nos réalités sous un jour nouveau, et nous ouvrent le champ des possibles. Mais ce n’est pas tout. Ils sont agiles et stimulent les autres en continu, ce qui facilite à leur tour leur agilité et leur mise en mouvement. Leurs vécus dans des domaines très différents leur permet à tout moment de transposer les tactiques gagnantes dans un nouveau contexte. De plus, ils ont souvent le sens du collectif surdéveloppé, et aiment donc partager leurs connaissances et idées.
Ils ont le goût du défi, de l’apprentissage et du progrès permanent, et de l’autonomie. De plus, étant plus confortables dans le « chaos » que dans un rythme régulier, ils savent particulièrement bien gérer les phases de changement et de crises, qui sont de plus en plus fréquentes au sein des entreprises.
Le succès fulgurant de Xavier Niel, et de son école de codage innovante et ouverte : l’École 42
Xavier Niel est l’archétype de l’entrepreneur atypique. Il a arrêté ses classes préparatoires, pourtant considérées comme la voie royale vers les meilleures carrières professionnelles. Dès l’âge de 24 ans, il devient millionnaire grâce à ses services de minitel rose. Son succès se confirmera quelques années plus tard quand il se positionnera sur le marché de la fourniture d’accès à Internet, avec Free.
En 2013, face à la pénurie structurelle de codeurs pour ses propres entreprises, mais aussi toutes celles dans lesquelles il investit, Xavier Niel décide de créer sa propre école de codage, en dehors de tous les codes éducatifs habituels (c’est le cas de le dire) : l’Ecole 42. Elle est innovante à plus d’un titre : pas de cours magistraux ni de travaux pratiques encadrés par des professeurs, les étudiants apprennent par eux-mêmes et entre eux, en s’appuyant sur la réalisation de projets numériques proposés par l’équipe pédagogique, dans des locaux qui leurs sont ouverts 24h/24 et 7j/7.
Mais surtout, l’Ecole 42 est connue pour son incroyable brassage social à l’entrée : le processus de recrutement est essentiellement basé sur la motivation et la capacité à apprendre, au travers d’une épreuve immersive de codage dite de « la piscine ». Elle ne s’attache donc pas du tout aux critères habituels des diplômes ou de l’âge, et pas question de CV et encore moins de lettre de motivation : au contraire, elle se veut profondément antisexiste, antiraciste antijeuniste (la recrue la plus âgé avait 64 ans !). Les diplômés de HEC y côtoient ainsi des décrocheurs du système scolaire classique.
Et force est de constater que cette ouverture à la diversité et aux profils atypiques lui a réussi : près de 10 000 étudiants formés en moins de 10 ans, et un taux d’insertion professionnel impressionnant. Nul doute qu’une majorité de ces étudiants n’auraient jamais été sélectionnés s’ils s’étaient basés sur leur CV.
Une directrice elle-même atypique
Sophie Vigier est elle-même une directrice atypique pour cet établissement : passionnée de culture geek depuis sa plus tendre enfance, de jeux de rôles dès l’âge de 7 ans, où elle découvre le ZX81, un des premiers ordinateurs personnels. Elle a été développeuse indépendante et professeure de programmation, mais elle est aussi diplômée de biologie et de musicologie. Très engagée dans des sujets sociaux, elle est membre de nombreuses ONG, notamment #JamaisSansElles une association de promotion de la mixité.
Cyril BARBE
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