Pourquoi écrire encore sur ce thème dont tout le monde s’est emparé depuis quelques années ? Qu’y a-t-il de nouveau que vous auriez manqué jusque là ?
En réalité, beaucoup d’écrits sur la puissance du collectif se concentrent sur l’organisation technique du collectif, supposant au passage que les conditions nécessaires à cette organisation technique sont réunies :
- que toutes les personnes constituant ce collectif ont de facto envie de travailler ensemble durablement,
- que ces personnes soient toutes en confiance mutuelle,
- que chacune soit dans un esprit de solidarité malgré les disparités au sein du collectif, et malgré la pression pour atteindre les objectifs.
Or ces conditions préalables sont loin d’être réunies en général.
Pourquoi ces sujets ont-ils été plus ou moins éludés jusque là ?
Nous touchons là au fonctionnement même des êtres humains, qui est plutôt du ressort habituel de la psychologie. Or cette science n’est que très peu entrée dans le monde du travail jusqu’à présent, ou alors essentiellement pour résoudre les dysfonctionnements ou les pathologies. Mais comprendre les dysfonctionnements afin de les régler n’est pas la seule voie pour faire progresser les êtres humains.
En effet, la recherche scientifique en psychologie positive, une branche récente de la psychologie, s’intéresse depuis une vingtaine d’années à comment s’appuyer sur les atouts et les forces des individus pour les aider à se développer de façon optimale. Les entreprises les plus performantes se sont approprié les résultats de cette recherche, car elle constitue une clé essentielle du management des ressources humaines pour demain.
Pourquoi le collectif ?
Même si c’est une évidence, rappelons tout de même en quelques mots les buts poursuivis par cette quête d’un collectif plus performant.
Tout d’abord avec le progrès technologique constant, le travail des Hommes devient toujours plus complexe. Viennent ensuite s’y ajouter d’autres contraintes : économiques, environnementales, sociétales. Les crises morales ou encore de santé publique sont également autant d’enjeux auxquels les organisations doivent faire face. Or la complexité de notre société se traduit par plus de complexité pour tous les problèmes qui nous sont posés au quotidien dans nos organisations.
Comme le dit très bien Edgar Morin, considéré comme le père de la pensée complexe, le simple fait d’utiliser de plus en plus souvent ce mot traduit à quel point nous sommes face à des sujets et des difficultés qui nous dépassent et que nous savons pas toujours comment les exprimer, et donc encore moins les résoudre.
Or seule la puissance du collectif peut nous aider à résoudre les problèmes et enjeux complexes. Le collectif de 10 personnes qui travaillent ensemble est bien plus puissant que la somme de leurs intelligences individuelles, travaillant séparément, le fameux 1 + 1 = 3, ou plus exactement 1 + 1 > 3.
Il ne s’agit donc pas seulement de faire gagner des matches à des équipes de sportifs, à l’image de l’équipe de France, victorieuse surprise face aux Blacks lors de la Coupe du Monde 2007après les avoir défié
Avoir envie de travailler ensemble
Alors comment faire pour créer les conditions d’un collectif performant ? La première chose est de s’intéresser à leurs motivations. Le fait que chaque personne soit motivée individuellement ne suffit pas à créer un collectif durablement motivé.
D’abord parce que ceux-ci doivent partager un minimum de valeurs en commun, de la même manière qu’une cordée de montagne qui veut réussir un sommet. En 1950, Herzog et Lachenal ont certes atteint ensemble le sommet de l’Annapurna, le 1er 8000 jamais réalisé par l’Homme. Mais autant le premier avait comme objectif la grandeur de la France retrouvée après les humiliations de la guerre, autant le second, guide de haute montagne, était porté avant tout par la beauté du geste et la grandeur d’âme des alpinistes. Prenant conscience des risques insensés pris par Herzog pour « réussir à tout prix », au risque de sa vie, Lachenal a été contraint de l’accompagner jusqu’au bout pour éviter de le laisser mourir seul, au prix de ses pieds et mains gelés, et au prix d’une descente en plaine qui fut un enfer de plusieurs semaines.
Prendre le temps d’échanger sur nos valeurs humaines communes, et d’en faire un socle de l’action du groupe, est donc un préalable essentiel à toute réussite collective durable.
Cette envie de travailler ensemble sur la durée viendra aussi de la qualité des relations instaurées. Il ne s’agit pas de savoir faire la fête ensemble, même si c’est important parfois, ni de se tutoyer au prétexte que ça fait cool, mais de véritables relations sincères et authentiques, sujet que je développe plus loin.
Créer la confiance mutuelle
Mêmes si les choses évoluent, nos modes managériaux actuels sont plus en général inspirés par les principes du contrôle que ceux de l’autonomie : fixation d’objectifs, rendez-vous réguliers d’avancement, entretiens individuels, et système de récompense / sanction directement relié à cette question d’atteinte ou non des objectifs. Nos systèmes hiérarchiques sont là pour mettre en oeuvre ce système de contrôle : le DG qui contrôle les n-1, eux-même contrôlant les n-2, et ainsi de suite. Dans une forme de continuité du contrôle scolaire, dont l’objectif est de vérifier que l’apprentissage et la maîtrise d’une discipline sont effectivement atteints.
En réalité, la confiance mutuelle s’appuie sur l’autonomie, le soutien et l’encouragement. Le juste niveau d’autonomie pour chacun, en fonction de ses compétences et de ses responsabilités. Le soutien proposé et non imposé, pour créer la confiance en soi et mettre ses collaborateurs en sécurité, surtout face à la nouveauté. Et enfin l’encouragement positif, preuve de notre croyance authentique dans la valeur de nos collaborateurs, et de notre permission de leurs erreurs, éléments constitutifs de l’apprentissage.
Dernier point important pour créer la confiance mutuelle : la fixation d’un cadre de fonctionnement rassurant, garant des valeurs communes, et que le manager se charge de faire respecter par tous.
Avancer ensemble sans « laissé pour compte »
Autant le collectif peut fonctionner facilement sur une réunion, ou sur un projet court, autant il est beaucoup plus compliqué à maintenir sur la durée. Plusieurs raisons à cela :
- La pression du temps et de la performance, qui nous rend toujours plus exigeant et nous conduit plus à pointer du doigt le négatif – ce qui n’est pas encore atteint – que le positif – tout ce qui a déjà été fait, et induit ainsi une défiance entre chaque membre.
- Le manque de temps et de méthode pour identifier et reconnaître les forces de chaque personne, pour qu’il puisse en faire bénéficier le collectif.
- La difficulté à adapter les missions et objectifs de chacun à ses possibilités, car cette logique de sur-mesure va à l’encontre d’une logique d’organisation planifiée et structurée.
Pour avancer ensemble sur la longue route, il est donc essentiel de travailler au préalable les Forces individuelles en présence, pour à la fois en faire bénéficier le collectif, adapter les missions de chacun en fonction de ces forces, et renforcer l’esprit de solidarité au sein du groupe. Ainsi il n’y aura pas d’équipier laissé sur le bord de la route parce qu’il ne suit pas le rythme ou qu’il n’est pas compétent.
Entretenir des relations constructives durables avec les autres
Entrer et maintenir dans le temps des relations constructives avec tous les autres suppose à la base d’avoir une sincère croyance dans le fait que l’Homme est fondamentalement bon. Mais cela suppose aussi d’apprendre et de mettre en oeuvre des compétences relationnelles, et notamment :
- L’assertivité : cette capacité à s’exprimer avec l’autre de façon bienveillante et empathique, en étant à l’écoute à la fois de ses propres besoins et des besoins de l’autre.
- L’empathie : cela passe notamment par l’écoute, cette qualité indispensable du monde moderne, la plus demandée mais aussi la moins enseignée.
- La gratitude : cette capacité à remercier les personnes et les choses pour ce qu’elles sont, ce qu’elles font, ce qu’elles nous apportent au quotidien.
- Le pardon : cette capacité à abandonner son droit au jugement négatif quand on a été offensé ou lésé (ce qui ne signifie en rien l’oubli ou l’excuse de l’acte). On pardonne non pour l’autre mais avant tout pour soi : c’est ce qui vous permet de surmonter l’événement et vous reconstruire positivement, et ainsi continuer d’entretenir des relations positives avec autrui.
Organiser le collectif
C’est seulement si toutes ces conditions sont réunies que vous pourrez organiser votre collectif : travailler en mode projet, développer la polyvalence et l’échange de poste, mettre en place des brainstormings, des séances de Forum Ouvert, de World Café, de Co-Développement, ou encore de facilitation graphique …
Cyril Barbé