Dans la continuité de mes 4 premiers articles à ce sujet (article général d’avril dernier, article du 24 septembre 2023 sur le haut niveau d’exigence, article du 10 janvier 2024 sur l’impatience, et article du 17 janvier 2024 sur les cheminements de pensée très différents), ce nouvel opus sur les zones aveugles du manager HPI est consacré à leur tendance à surinterpréter les événements qu’ils vivent et les attitudes des autres.
Une vitesse de réflexion importante et une forte capacité à anticiper
Une des caractéristiques des HPI est leur vitesse de réflexion et de compréhension des événements, sujet que j’aborde dans l’article sur l’impatience. Ils ont donc une très forte capacité à prévoir ce qui va se passer dans l’avenir en fonction des observations qu’ils font. Par exemple, un HPI aura souvent des intuitions sur les décisions qui seraient bonnes pour son entreprise, en matière de stratégie technologique, commerciale, ou encore RH : ces intuitions sont le fruit du rapprochement, le plus souvent inconscient, d’un grand nombre d’informations captées, et de la capacité à se projeter dans l’avenir.
Mais aussi une imagination débordante qui brouille leur jugement
Celle-ci est liée là aussi à son aptitude plus ou moins inconsciente, à faire des liens entre différents sujets, différents thèmes, différentes disciplines, qui n’ont à priori aucun rapport entre eux. Cette imagination très fertile, combinée à leur capacité d’anticipation, les conduit à se projeter dans le futur en imaginant des tas de choses, parfois complètement farfelues.
Mon exemple personnel avec les retards de mes rendez-vous
Pour ma part, je suis très attaché au fait de respecter l’heure d’un rendez-vous. Et lorsqu’une personne est en retard à un rendez-vous avec moi, il m’arrive souvent d’échafauder tout un tas de théories sur les raisons de ce retard. Plus encore, je vais de façon automatique, évaluer les probabilités d’occurrence de chaque scénario. Et si un de ces scénarios retient mon attention, et en l’absence de toute autre information contraire, je vais avoir tendance à croire que c’est bien cette raison qui est la cause du retard de mon interlocuteur.
Ce faisant, lorsque celui-ci finit par arriver, j’ai tellement ressassé ce sujet, que je vais finir par penser que ma supposition est acquise, avant même de lui poser la question de la raison réelle de son retard. En général j’ai tendance à porter un jugement hâtif sur la personne, pensant qu’elle n’est pas très respectueuse des horaires. Heureusement qu’avec l’expérience, j’ai fini par prendre conscience de ce biais cognitif, et que je suspends spontanément ce jugement, pour lui demander si tout va bien et ce qui s’est passé.
Le rôle des émotions dans ces biais cognitifs
Je ne parle même pas du retard d’une personne qui m’est chère au plan affectif : dans ce cas, les émotions décuplent cette façon incontrôlée qu’a mon cerveau de partir dans toutes les directions : s’il est en retard, c’est qu’il a eu un accident, ou qu’il s’est passé quelque chose de grave … Lorsque je constate que rien de tel ne s’est produit, je suis partagé entre deux sentiments très contradictoires : le soulagement qu’il n’y ait eu rien de grave, et l’incompréhension de constater à quel point mon cerveau me joue des tours, alors même que j’ai la plupart du temps le sentiment de tout pouvoir contrôler.
La surinterprétation en situation de management
J’ai accompagné un manager qui avait tendance à observer les moindres faits et gestes de ses collaborateurs en réunion d’équipe. D’une part parce qu’il sentait bien que ses attitudes pouvaient surprendre en général, mais aussi du fait d’une grande sensibilité qui l’amenait à capter en permanence les moindres signes – sourires, visages fermés, langage corporel … Problème : chaque signe était décortiqué et interprété, par exemple comme un message du style : « attention, tu n’as pas été assez clair, ou tu n’as pas réussi à convaincre ».
En l’amenant à progressivement vérifier toutes ses interprétations, il a pris conscience que la plupart des signes n’avaient pas de réelle signification, et qu’il y avait en quelque sorte « fausse alerte ». Il a aussi pris conscience que cette tendance à surinterpréter les moindres signes était aussi lié à son manque d’estime de lui – un facteur aussi très répandu chez les HPI.
Quelles conséquences pour un manager HPI
Cette surinterprétation, ou jugement hâtif sur les événements et les attitudes, est souvent perçue comme un manque de crédibilité chez les managers concernés : en effet, on attend justement d’un manager qu’il soit capable de faire la part des choses, d’être mesuré dans ses réactions. Cela peut aussi être perçu comme un manque d’écoute, en particulier lorsque l’on suppose des choses qui se révèlent inexactes. Or l’coute est fondamentale quand on est manager. Cette perception est d’autant plus frustrante pour un manager HPI qui, justement, a en général de bonnes capacités d’écoute.
Comment retrouver sa crédibilité de manager dans ces situations ?
La première chose est de prendre conscience de cette tendance à la surinterprétation, ce qui est loin d’être simple car on ne vous l’exprimera pas forcément ainsi. Ensuite, il s’agit de prendre conscience que votre cerveau vous joue des tours : là aussi, ce n’est pas naturel car un HPI fait globalement très confiance à son cerveau.
Cela passe donc par un réel travail sur soi, une prise de conscience de ses modes de fonctionnement si particuliers. Et une acceptation de ceux-ci, car bien souvent les HPI ont du mal à accepter ces différences, tant ils ont envie d’être acceptés par les autres.
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Cyril Barbé