Réussir ses projets complexes et ambitieux en expliquant ses intuitions et par le story-telling

Fin juin, je vous partageais mon 1er article sur la question des facteurs clés de la réussite des projets complexes et ambitieux. Suite à ce premier opus, et toujours en m’appuyant sur mes interviewes de dirigeants d’entreprise, j’essaye d’illustrer dans ce 2nd article en quoi le lancement et la réussite de ce type de projets repose sur la capacité de son leader à expliquer ses intuitions et à raconter une histoire à l’ensemble de ses parties prenantes.

Tout projet commence par un rêve ou une intuition.

A l’image de Martin Luther King qui prononça son célèbre discours en août 1963 « I have a dream », revendiquant l’égalité des droits civiques et économiques entre blancs et noirs, et qui a débouché moins d’un an plus tard sur une des plus grandes avancées en matière de droits de l’homme aux USA, le vote du Civil Rights Act.

Le problème est que notre société juge les rêves irréalistes, et les intuitions irrationnelles. Ce faisant, nous tuons dans l’œuf la plupart des projets ambitieux et complexes auxquels certains souhaitent s’atteler.

Influencer les décideurs dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Devi Lockwood, journaliste indépendante américaine ayant contribué entre autres au New York Times, The Guardian, Slate, et le Washington Post, a publié il y a juste un an un ouvrage intitulé « 1,001 Voices on Climate Change » (littéralement « Mille et une voix au sujet du changement climatique »).

Elle y écrit notamment : « La narration est une intervention dans le silence climatique, une invitation à utiliser l’ancienne technologie humaine de connexion par le langage et le récit pour contrer l’inaction. C’est un moyen de faire entrer des voix souvent impuissantes dans des pièces puissantes. » Et elle y raconte les histoires individuelles de différentes personnes qu’elle a rencontrées lors d’un tour du monde à vélo.

Parler de personnes en citant leur nom, en racontant leur histoire quotidienne, leurs émotions, est bien plus puissant que de citer des chiffres ou des données scientifiques.

Celle de Franny Connetti, 57 ans, vivant au sud de la Nouvelle-Orléans, victime de l’ouragan Isaac qui a emporté sa maison et son quartier en 2012. Franny ne s’imagine pas vivre ailleurs que là où elle a vécu, mais doit sans cesse reconstruire les digues qui protèges son mobil-home. Elle ne peut plus circuler sur la Louisiana State Highway 23, qui est désormais coupée par la mer …

 Ou encore celle d’Angelina, une mère de trois enfants vivant sur Tuvalu, un état atoll coralien du Pacifique ne dépassant pas les 4 mètres d’altitude. Lors des périodes de sécheresse, de plus en plus fréquentes, Angelina et sa famille doit se baigner dans la mer pour se laver et laver ses vêtements. Mais pour sa 2ème fille Siulai âgée de quelques mois, dont la peau est trop délicate pour supporter l’eau salée, qui lui donne d’horribles éruptions cutanées, Angelina doit régulièrement faire le choix cornélien entre boire de l’eau et donner un bain à son enfant.

Steve Jobs et la réussite de l’iMac

Nos intuitions les plus pertinentes ont toujours des arguments à faire valoir, mais il faut savoir les expliciter.

Raconter une histoire est une chose. Savoir expliciter ses intuitions en est une autre.

Walter Isaacson, écrivain biographe de Steve Jobs, raconte une anecdote à son sujet : « en mettant au point l’iMac avec Jonny Ives, ils ont eu l’idée de lui placer une poignée sur le dessus. C’était pourtant un ordinateur de bureau, pas vraiment destiné à être transporté. Mais Steve Jobs voulait que les gens puissent toucher leur ordinateur, ne pas en avoir peur, réaliser que la machine est là, à leur service ».

Par chance, Jobs avait cette capacité à expliquer ses intuitions, souvent surprenantes, et c’est ainsi qu’il a pu convaincre les concepteurs de maintenir cette poignée. Et c’est dans ce même esprit qu’il a mis au point l’iPhone, avec l’incroyable réussite qu’on lui connaît.

Ma propre expérience pour révéler les aptitudes entrepreneuriales des jeunes des quartiers défavorisés

En 2007, les élus de la CCI d’Ille et Vilaine m’ont confié la mission de créer des actions innovantes pour sensibiliser les jeunes des quartiers défavorisés à la création d’entreprise, et surtout révéler leurs aptitudes entrepreneuriales naturelles. J’avais l’intuition qu’il fallait des événements « immersifs », avec la présence d’entrepreneurs célèbres de la région. J’ai ainsi imaginé emmener à plusieurs reprises une cinquantaine de jeunes à Paris sur des salons professionnels de la création d’entreprise.

Pourquoi Paris alors que nous avions les mêmes salons à Rennes ? Parce que la ville fait rêver. Pourquoi en bus ? Parce que la promiscuité et le temps plus long permet un échange plus profond et plus authentique. Pourquoi faire venir aussi des entrepreneurs régionaux connus ? Parce que durant ce voyager aller-retour, vivre à leurs côtés, pouvoir parler simplement et même manger un plateau repas en leur compagnie constitue un moment très fort pour ces jeunes. Et le fait est que nombre d’entre eux ont osé prendre des décisions importantes pour leur vie professionnelle, qu’ils n’auraient certainement pas prises sans ces voyages originaux.

A quelques mots près, ce sont exactement ces explications que j’ai données à mon Président et mon DG pour les convaincre de la pertinence de ces voyages, qui semblaient pourtant bien lourds à organiser par rapport à emmener les mêmes jeunes sur des salons rennais.

Transformer ses idées lumineuses en projets ambitieux qui vont changer le monde requiert un savoir-faire très pointu

Ce savoir-faire combine à la fois : la capacité à se mettre à la place des autres, à imaginer le chemin intellectuel qui les sépare de vos intuitions si originales (et donc difficiles à accepter), à donner du sens et de l’objectivité à vos intuitions, à créer ou identifier les histoires réelles qui vont en illustrer la mise en œuvre, et enfin à raconter ces histoires avec suffisamment de passion pour qu’elles deviennent une réalité dans l’esprit des décideurs.

Cyril Barbé

Pour aller plus loin : suivez ma Masterclass du 14 septembre 2022.

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