Réussir vos projets complexes : pourquoi et comment faire confiance à ses intuitions ?

Intuition

Paradoxalement, notre société hyper-rationnelle nous explique depuis quelques années comment l’intuition serait LA qualité ultime pour réussir, en particulier pour des projets entrepreneuriaux ou complexes, et on voit fleurir chaque jour de nouveaux spécialistes au sujet de l’intuition.

L’un d’entre eux, le psychologue Gary Klein, a effectivement conduit des études scientifiques très sérieuses à ce sujet dans les années 80, en se basant sur des métiers où les décisions doivent être prises rapidement, et où les professionnels concernés n’ont pas toujours le temps d’analyser les choses de façon rationnelle. Il en ressort en synthèse que l’intuition repose entre autres sur la reconnaissance rapide d’une situation déjà vécue et mémorisée, même si ses enseignements n’ont pas été formulés de manière consciente.

Un des exemples célèbres de Klein est celui de ce commandant de pompiers qui, entrant dans une maison en feu avec ses équipes, a eu l’intuition de faire évacuer les lieux très vite après y être entrés, et très peu de temps avant que le plancher ne s’écroule. Ce commandant avait en effet capté plusieurs signaux contradictoires, une température très élevée et très peu de bruit, alors que les feux sont souvent très bruyants, ce qui l’a conduit à prendre cette décision sécuritaire vitale pour son équipe. Or l’analyse des faits a montré que la température très élevée provenait d’un feu déjà très avancé dans la cave, dont le bruit était donc à peine perceptible.

La capacité à faire des liens entre plusieurs signaux perçus n’ayant pas de lien entre eux à priori, et en tirer des enseignements, y compris de façon non consciente, tout cela à grande vitesse, semble donc une des clés de l’intuition, et un véritable atout pour contribuer à la réussite d’objectifs difficiles et ambitieux.

L’incroyable réussite du premier alunissage d’Apollo 11

Le 20 juillet 1969, le module lunaire de la première mission Apollo est en descente à 1800 mètres d’altitude et moins de 5 minutes de l’alunissage. L’ordinateur de bord fait alors retentir une première alarme 1202. Steve Bales, l’un des programmeurs de l’ordinateur de bord, présent au centre de contrôle Houston, regarde son épais livre de codes d’alarmes et conclut qu’il s’agit d’une surcharge de l’ordinateur de bord, sans toutefois en comprendre les raisons, ni être en mesure d’en donner les conséquences.

Dans l’urgence, Neil Armstrong, commandant de la mission, fait de son côté plusieurs constats :

  • Les informations nécessaires à alunissage – altitude, vitesse verticale, vitesse horizontale, angle d’inclinaison, etc … – continuent de s’afficher normalement
  • Le vaisseau poursuit sa route sans soubresaut ou changement de trajectoire notable
  • Il ne perçoit aucun autre élément suspect (bruit ou autre)

Là encore, c’est dans la reconnaissance de ces différents signaux, sans rapport entre eux, et leur interprétation rapide, qu’Armstrong a l’intuition que le vol peut continuer à se dérouler en sécurité. Et donc même s’il ne dispose pas à ce moment-là des informations sur la signification de ces alarmes, il prend la décision de poursuivre la mission, qui deviendra un succès historique.

Comment, vous aussi, faire confiance à vos intuitions pour réussir vos projets complexes ?

Et surtout comment réussir à les expliquer, à convaincre autour de vous de leur pertinence, pour atteindre vos objectifs et faire gagner votre équipe ? Suivez ma Masterclass mercredi 12 avril prochain à 13h00.

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Cyril Barbé

Réussir des projets complexes : l’intuition d’un jeune ingénieur comme clé de réussite du programme Apollo.

La course à la Lune dans les années 60 a constitué un pari fou pour la NASA et le Président Kennedy. En effet, au moment où ce dernier a annoncé au Congrès vouloir s’engager sur une mission pour faire marcher un Homme sur la Lune avant la décennie, le 25 mai 1961, les USA n’ont envoyé qu’un seul homme dans l’espace, et encore à l’occasion d’un vol suborbital, et sont encore loin d’égaler l’URSS et Gagarine et son vol orbital.

La technologie pour emmener des Hommes sur la Lune et les faire revenir sains et sauf sur Terre est très loin d’exister. Pour donner une comparaison, c’est comme si les USA venaient d’annoncer vouloir fabriquer un avion transportant des passagers pour traverser l’atlantique, en disposant de la seule expérience des frères Wright, autrement-dit un gap technologique de plusieurs dizaines d’années.

Un des problèmes majeurs était la conception du lanceur, la fameuse Saturn V, aujourd’hui encore un des plus gros lanceurs jamais conçu au monde. Pour faire simple, la difficulté pour s’extraire de l’attraction gravitationnelle terrestre, il faut une énorme puissance ; et cette puissance est obtenue par d’énormes moteurs, et donc une grande quantité de carburant. Ce faisant, il faut aussi que les moteurs soient capables de faire décoller leur propre masse, et la masse du carburant disponible au décollage, en lui-même. Un véritable cercle vicieux.

Et pour aller sur la Lune, il faut aussi embarquer un moteur spécifique capable de fonctionner dans le vide spatial, le carburant pour aller de la terre à la Lune et en revenir, mais aussi un vaisseau capable de se poser sur la Lune et d’en redécoller. En résumé, pour faire poser 1 kilogramme sur la Lune, c’est plusieurs dizaines de tonnes qu’il fait faire décoller depuis la Terre. Or à cette époque en 1961, la technologie disponible ne permet pas de concevoir l’énorme lanceur capable de faire l’aller et retour avec tout ce carburant et tous ces équipements.

L’idée est donc de concevoir des lanceurs à étages, qui larguent progressivement une partie de leur masse, devenue inutile, une fois le carburant consumé. Et d’imaginer 2 vaisseaux, un pour le transfert de la Terre à la Lune et retour, et la rentrée atmosphérique (nécessitant notamment un bouclier thermique), et un second pour se poser sur la Lune et en repartir. L’intérêt de cette idée étant que, l’attraction gravitationnelle de la Lune étant 6 fois moindre que sur Terre, ce vaisseau spécial pour la Lune pouvait lui aussi être beaucoup plus léger, et ne pas avoir besoin de bouclier thermique, d’où une énorme économie de carburant, et donc un gain de poids énorme au départ de la Terre.

Mais se pose alors la question suivante : où procéder au rendez-vous entre les 2 vaisseaux ? En orbite terrestre ou en orbite lunaire ? Le premier scénario, nommé EOR pour « Earth-Orbit Rendez-vous », semble intuitivement plus sûr, car les phases délicates d’amarrage et de désamarrage, considérées à l’époque comme ultra-risquées, se déroulent dans la banlieue de la Terre, avec donc plus de possibilités de sauvetage en cas de problème.

Le 2nd scénario, nommé LOR pour « Lunar-Orbit Rendez-vous », semble donc au départ perdu d’avance du fait des risques plus importants. La NASA a passé une année entière à débattre de cette question en 1962, démontrant les tensions liées à ce choix crucial. Werner Von Braun lui-même, concepteur de fusées et « grand prêtre » de la NASA, était un fervent partisan du scénario EOR.

Mais la NASA n’aurait jamais gagné son pari sans l’intuition à contre-courant et l’obstination de John Houbolt, un jeune ingénieur en astronautique. Il s’est d’ailleurs largement inspiré d’un ouvrage russe datant de 1920 qui prônait déjà cette solution ! Quels étaient ses arguments ? D’abord que le rendez-vous en orbite terrestre contraignait à envoyer vers la Lune un vaisseau beaucoup plus gros et lourd (de l’ordre de 5 à 10 fois), avec donc une consommation de carburant beaucoup plus importante pour alunir et redécoller de la Lune. Ensuite que ce vaisseau beaucoup plus gros et lourd présentait des risques d’enfoncement fatal lors de l’alunissage, la surface du régolithe lunaire étant très mal connue à l’époque.

Durant 18 mois donc, Houbolt a « prêché dans le désert », envers et contre tous, le plus souvent en court-circuitant plusieurs niveaux hiérarchiques au risque de briser sa carrière. Grâce à sa ténacité bien sûr, mais aussi grâce à ses compétences techniques, à son sens de la communication et de la pédagogie, il finit par rallier à sa cause ses hiérarchiques, et enfin Von Braun, à la grande surprise de toutes ses équipes.

Ce choix aura été décisif non seulement dans la réussite du pari de Kennedy, mais aussi dans le sauvetage des 3 astronautes d’Apollo 13 en 1970, quand leur module de commande deviendra inutilisable du fait de l’explosion accidentelle d’un de leur réservoir d’oxygène. C’est le LEM – ou module lunaire – qui leur a servi de « canot de sauvetage » durant leur voyage de retour sur Terre, avant de s’en débarrasser pour la rentrée atmosphérique.

Que fait-il retenir de cette histoire ?

  • Ce n’est pas parce que la majorité se rallie à votre cause qu’elle est bonne (en l’occurrence le choix EOR de la NASA au départ)
  • Ce n’est pas parce que le dirigeant le plus haut placé (en l’occurrence Werner Von Braun) est convaincu par cette cause qu’elle est bonne
  • Ce n’est pas parce que ce même dirigeant a tout réussi jusque là qu’il a forcément raison
  • Ce n’est pas parce que votre intuition (le scénario LOR) est difficile à expliquer de façon rationnelle, qu’elle n’est pas pertinente
  • Ce n’est pas parce que c’est difficile de convaincre que c’est impossible

Il m’arrive souvent de rencontrer ce genre de situations dans les projets, où une infime minorité, voire un seul équipier, tente de faire entendre son intuition, pour dire qu’on n’a pas pris en compte un signal faible important, qu’on ne va pas dans la bonne direction, que les experts n’ont pas toujours raison, qu’il ne faut pas toujours se fier à l’avis de la majorité, mais qu’elle (il) n’est pas entendue parce que cette intuition est difficile à justifier. Et de constater que cette intuition se révèlera pourtant cruciale dans la réussite de leur projet.

Voilà pourquoi autant de projets n’aboutissent pas, ou n’atteignent pas leurs objectifs : parce que la complexité de ces projets échappe à une majorité de leurs acteurs, y compris les plus importants.

Que serait devenu le pari de Kennedy sans l’intuition géniale de Houbolt, et sans sa persévérance à y croire, et à convaincre autour de lui de sa pertinence ?

Cyril Barbé

Réussir ses projets complexes et ambitieux en expliquant ses intuitions et par le story-telling

Fin juin, je vous partageais mon 1er article sur la question des facteurs clés de la réussite des projets complexes et ambitieux. Suite à ce premier opus, et toujours en m’appuyant sur mes interviewes de dirigeants d’entreprise, j’essaye d’illustrer dans ce 2nd article en quoi le lancement et la réussite de ce type de projets repose sur la capacité de son leader à expliquer ses intuitions et à raconter une histoire à l’ensemble de ses parties prenantes.

Tout projet commence par un rêve ou une intuition.

A l’image de Martin Luther King qui prononça son célèbre discours en août 1963 « I have a dream », revendiquant l’égalité des droits civiques et économiques entre blancs et noirs, et qui a débouché moins d’un an plus tard sur une des plus grandes avancées en matière de droits de l’homme aux USA, le vote du Civil Rights Act.

Le problème est que notre société juge les rêves irréalistes, et les intuitions irrationnelles. Ce faisant, nous tuons dans l’œuf la plupart des projets ambitieux et complexes auxquels certains souhaitent s’atteler.

Influencer les décideurs dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Devi Lockwood, journaliste indépendante américaine ayant contribué entre autres au New York Times, The Guardian, Slate, et le Washington Post, a publié il y a juste un an un ouvrage intitulé « 1,001 Voices on Climate Change » (littéralement « Mille et une voix au sujet du changement climatique »).

Elle y écrit notamment : « La narration est une intervention dans le silence climatique, une invitation à utiliser l’ancienne technologie humaine de connexion par le langage et le récit pour contrer l’inaction. C’est un moyen de faire entrer des voix souvent impuissantes dans des pièces puissantes. » Et elle y raconte les histoires individuelles de différentes personnes qu’elle a rencontrées lors d’un tour du monde à vélo.

Parler de personnes en citant leur nom, en racontant leur histoire quotidienne, leurs émotions, est bien plus puissant que de citer des chiffres ou des données scientifiques.

Celle de Franny Connetti, 57 ans, vivant au sud de la Nouvelle-Orléans, victime de l’ouragan Isaac qui a emporté sa maison et son quartier en 2012. Franny ne s’imagine pas vivre ailleurs que là où elle a vécu, mais doit sans cesse reconstruire les digues qui protèges son mobil-home. Elle ne peut plus circuler sur la Louisiana State Highway 23, qui est désormais coupée par la mer …

 Ou encore celle d’Angelina, une mère de trois enfants vivant sur Tuvalu, un état atoll coralien du Pacifique ne dépassant pas les 4 mètres d’altitude. Lors des périodes de sécheresse, de plus en plus fréquentes, Angelina et sa famille doit se baigner dans la mer pour se laver et laver ses vêtements. Mais pour sa 2ème fille Siulai âgée de quelques mois, dont la peau est trop délicate pour supporter l’eau salée, qui lui donne d’horribles éruptions cutanées, Angelina doit régulièrement faire le choix cornélien entre boire de l’eau et donner un bain à son enfant.

Steve Jobs et la réussite de l’iMac

Nos intuitions les plus pertinentes ont toujours des arguments à faire valoir, mais il faut savoir les expliciter.

Raconter une histoire est une chose. Savoir expliciter ses intuitions en est une autre.

Walter Isaacson, écrivain biographe de Steve Jobs, raconte une anecdote à son sujet : « en mettant au point l’iMac avec Jonny Ives, ils ont eu l’idée de lui placer une poignée sur le dessus. C’était pourtant un ordinateur de bureau, pas vraiment destiné à être transporté. Mais Steve Jobs voulait que les gens puissent toucher leur ordinateur, ne pas en avoir peur, réaliser que la machine est là, à leur service ».

Par chance, Jobs avait cette capacité à expliquer ses intuitions, souvent surprenantes, et c’est ainsi qu’il a pu convaincre les concepteurs de maintenir cette poignée. Et c’est dans ce même esprit qu’il a mis au point l’iPhone, avec l’incroyable réussite qu’on lui connaît.

Ma propre expérience pour révéler les aptitudes entrepreneuriales des jeunes des quartiers défavorisés

En 2007, les élus de la CCI d’Ille et Vilaine m’ont confié la mission de créer des actions innovantes pour sensibiliser les jeunes des quartiers défavorisés à la création d’entreprise, et surtout révéler leurs aptitudes entrepreneuriales naturelles. J’avais l’intuition qu’il fallait des événements « immersifs », avec la présence d’entrepreneurs célèbres de la région. J’ai ainsi imaginé emmener à plusieurs reprises une cinquantaine de jeunes à Paris sur des salons professionnels de la création d’entreprise.

Pourquoi Paris alors que nous avions les mêmes salons à Rennes ? Parce que la ville fait rêver. Pourquoi en bus ? Parce que la promiscuité et le temps plus long permet un échange plus profond et plus authentique. Pourquoi faire venir aussi des entrepreneurs régionaux connus ? Parce que durant ce voyager aller-retour, vivre à leurs côtés, pouvoir parler simplement et même manger un plateau repas en leur compagnie constitue un moment très fort pour ces jeunes. Et le fait est que nombre d’entre eux ont osé prendre des décisions importantes pour leur vie professionnelle, qu’ils n’auraient certainement pas prises sans ces voyages originaux.

A quelques mots près, ce sont exactement ces explications que j’ai données à mon Président et mon DG pour les convaincre de la pertinence de ces voyages, qui semblaient pourtant bien lourds à organiser par rapport à emmener les mêmes jeunes sur des salons rennais.

Transformer ses idées lumineuses en projets ambitieux qui vont changer le monde requiert un savoir-faire très pointu

Ce savoir-faire combine à la fois : la capacité à se mettre à la place des autres, à imaginer le chemin intellectuel qui les sépare de vos intuitions si originales (et donc difficiles à accepter), à donner du sens et de l’objectivité à vos intuitions, à créer ou identifier les histoires réelles qui vont en illustrer la mise en œuvre, et enfin à raconter ces histoires avec suffisamment de passion pour qu’elles deviennent une réalité dans l’esprit des décideurs.

Cyril Barbé

Pour aller plus loin : webinaire « Réussir ses projets complexes et ambitieux en apprenant à expliquer ses intuitions et par le story-telling »

  • Renseignements et inscription pour le mercredi 14 septembre prochain à 11h30 (heure de Paris) : cliquer ici