Apprendre à apprendre

Pourquoi autant parler d’apprendre à apprendre aujourd’hui ?

« L’être humain est câblé pour apprendre avec d’autres humains plus jeunes et plus âgés que lui », comme le dit très bien Céline Alvarez. Ils sont même faits pour en retirer du plaisir. Alors pourquoi s’intéresse-t-on tant au processus d’apprentissage maintenant ?

Selon une étude de Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne en 2013, 60% des emplois d’aujourd’hui sont susceptibles de disparaître d’ici à 2035, du fait de la robotisation, l’automatisation, la numérisation, et de l’Intelligence Artificielle. Même si cette étude est controversée, une certitude est que le monde professionnel évolue vite, et de plus en plus.

Les métiers ne sont pas les seuls à évoluer à une vitesse en croissance exponentielle : le rythme d’apparition de nouvelles connaissances et la vitesse à laquelle nos connaissances acquises deviennent obsolètes suivent les mêmes courbes.

Dans le même temps, le rythme d’évolution du cerveau est beaucoup plus lent que le rythme d’évolution de notre société. Le temps où nous pourrions être rattrapés par la capacité cognitive des Intelligences Artificielles semble moins loin, et surtout désormais envisageable.

Un autre problème se pose à nous : nous devons emmagasiner un bagage de connaissances de plus en plus conséquent avant de commencer à travailler. Or la connaissance a besoin d’être réactivée fréquemment pour être utilisable, donc chaque connaissance devient plus éphémère. A cela s’ajoute que ces nouvelles connaissances sont plus complexes qu’avant, et nécessitent un processus long qui demande des efforts, et que ce long terme accommode mal aux exigences d’immédiateté de l’entreprise.

Par ailleurs, nous avons grandi et avons été formés dans un système scolaire très formaté, presque industriel (cf conférence TED de Ken Robinson à ce sujet), qui exclut rapidement ceux qui ne s’y adaptent pas, et pointe du doigt l’erreur, ce qui plus ou moins inconsciemment a impacté notre perception du processus d’apprentissage, comme quelque chose de difficile et rébarbatif.

A tout cela s’ajoute le stress, qui occupe une partie croissante de notre quotidien : il est un facteur de dégradation du fonctionnement cérébral (déconnexion du cortex préfrontal), et à hautes doses, de dégradation de plusieurs fonctions physiologiques et donc de la santé.

Face à tous ces enjeux, la plupart des formations classiques sont devenues obsolètes dans leur format, et 80% des informations qui y sont délivrées sont oubliées après 7 jours.

Que faire pour réapprendre à apprendre ?

Il est beaucoup question de personnalisation des enseignements, des méthodes pédagogiques. Certes nous avons tous des spécificités, et des tactiques bien personnelles pour apprendre. Mais d’une part il serait impossible d’analyser ces différences et d’en tenir compte au cas par cas (tout au plus pouvons-nous donner plus d’autonomie pour que chacun puisse adapter son processus à sa personnalité), et d’autre part il y a bien un grand nombre de fondamentaux à connaître pour progresser dans ce domaine.

Un processus d’apprentissage nécessairement actif

On sait grâce aux neurosciences qu’un cerveau passif n’apprend pas. Certes grâce aux neurones miroir, nous pouvons apprendre à faire en voyant quelqu’un d’autre faire devant nous, mais ceci ne s’applique qu’à des apprentissages concrets, donc pas dans la plupart des apprentissages qui nous sont proposés aujourd’hui, essentiellement intellectuels et conceptuels.

Nos processus d’enseignement et de formation doivent donc intégrer une majorité de séquences actives, ce que les anglo-saxons appellent le « learning by doing ». Ils doivent aussi privilégier la mise en pratique AVANT la théorie, qui vient dans ce cas confirmer la découverte faite en faisant.

Lever les mythes sur performance cognitive

On entend et on lit beaucoup sur comment entraîner son cerveau à devenir plus fort, notamment au travers d’exercices mentaux supposés nous rendre plus intelligents. D’abord ces exercices mentaux sont souvent centrés, là encore sur 2 types d’intelligences – linguistique et logico-mathématique, et d’autre part ils ne sont qu’une façon de constater ce que l’on est déjà capable de faire, ou pas.

La réalité sur le fonctionnement optimal du cerveau est beaucoup plus simple : l’activité physique et une bonne qualité de sommeil en sont deux principaux facteurs. Le troisième est moins connu : la pleine conscience. Les chercheurs ont constaté en effet que cette pratique régulière augmente durablement les capacités attentionnelles, et facilite le maintien de la connexion au cortex préfrontal.

Comprendre les mécanismes d’attention et de mémorisation

Notre attention est de plus en plus sollicitée par des distracteurs : un bruit dehors, une personne qui passe, et surtout les vibrations de notre smartphone. L’émergence des réseaux sociaux a aussi fait croître de façon exponentielle notre nombre de relations, et donc de sollicitations externes. Enfin notre société de l’immédiateté (cf mon récent article) a réduit notre durée d’attention. Une des solutions : pratiquer la pleine conscience ou la pleine attention.

La mémorisation est un mécanisme complexe, et beaucoup d’entre nous ont des à priori sur son fonctionnement : certains pensent qu’ils n’ont pas de mémoire, d’autres lui font exagérément confiance. Prendre conscience que la mémorisation passe notamment, par la répétition, les reprises expansées dans le temps, et que la mémoire qui nous sert à emmagasiner ce que l’on nous dit (sans prise de note), dite « mémoire de travail » est à la fois limitée et très éphémère, sont des fondamentaux qui permettent de développer sa mémoire. Les mnémonistes savent aussi qu’il existe des techniques pour augmenter sa capacité de mémoire immédiate.

Favoriser l’envie d’apprendre

Comme je l’écrivais plus haut, l’apprentissage est un processus naturel et spontané chez l’homme, et il est fait pour y prendre du plaisir. Mais cela suppose qu’il soit motivé pour cet apprentissage. Lorsque nous passons à l’âge adulte, nous faisons des choix personnels, et dès lors tout ne nous intéresse pas au même niveau. S’intéresser aux facteurs qui favorisent la motivation d’apprendre est donc essentiel en formation professionnelle. 4 facteurs principaux de motivation ont été identifiés par les chercheurs Deci & Ryan : l’autonomie, le sentiment de contrôle (qui suppose de nombreux feed-backs), la qualité de la connexion aux autres (avec le formateur mais aussi avec les autres apprenants), et enfin le sens que l’on trouve dans cet apprentissage.

Se débarrasser des mythes sur l’inné et l’acquis

La capacité de progrès cognitif n’est pas liée à un niveau d’intelligence de départ, mais à la conception qu’on se fait de cette intelligence. Carol Dweck, une professeur de psychologie sociale à l’Université Stanford aux USA a mis en évidence qu’il existe – pour simplifier – deux conceptions de cette intelligences, qu’elle nomme état d’esprit (mindset).

Un état d’esprit fixe (« fixed mindset ») considère que la capacité de progrès cognitif est essentiellement liée au niveau d’intelligence, qui est principalement inné ou génétique. Il considère que les efforts ne jouent en rien dans cette capacité.

Un état d’esprit flexible ou de croissance (« growth mindset ») considère au contraire que ce sont les efforts et le travail qui permettent de progresser, et que cette capacité n’est pas liée au niveau d’intelligence de départ. Carol Dweck a mis en évidence qu’avoir un état d’esprit flexible est la clé de la réussite, aussi bien scolaire que professionnelle. La bonne nouvelle est que cela se travaille.

Que faut-il faire ?

La première étape est de savoir expliquer tous ces aspects scientifiques de façon simple aux apprenants : les enfants, mais aussi les adultes, sont friands de comprendre comment ils fonctionnent, et cette compréhension constitue un pas essentiel pour progresser sur tous ces aspects.

J’anime régulièrement des conférences ou ateliers sur ce thème « apprendre à apprendre », comme lundi 9 décembre chez un client rennais.

Cyril Barbé